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A la Commanderie de Peyrassol, dans le Var, le plasticien Bertrand Lavier en artificier de la couleur

Bertrand Lavier a l’habitude de parler de ses « chantiers ». Dans ce mot se concentrent diverses notions : sujet, travail, expérience. Plusieurs de ces « chantiers » sont ouverts depuis ses premières créations des années 1970. Ainsi de celui de la couleur, dont l’exposition à la Commanderie de Peyrassol à Flassans-sur-Issole (Var), qui abrite le vignoble biologique Château Peyrassol et une collection d’art, réunit quelques-unes des principales réalisations, de cette période initiale jusqu’à aujourd’hui : une trentaine de pièces, de techniques et de dimensions très variées.
La plus grande, qui est aussi la plus récente, est une carcasse d’automobile Dauphine ayant perdu moteur, pneus et pare-brise, que Lavier a fait repeindre du plus étincelant bleu par un spécialiste en carrosserie, d’abord un peu surpris d’être invité à magnifier une épave. La plus ancienne est une peinture de 1978, Mandarine par Duco et Ripolin : deux monochromes jointifs, chacun couvert de la couleur que ces deux fournisseurs nommaient alors « mandarine », et qui, en dépit de leur appellation commune, différaient nettement.
Entre les deux, des néons, une mosaïque, un semoir agricole changé en fontaine et des objets recouverts des épaisses touches de couleurs à l’acrylique devenues l’une des marques de fabrique de Lavier. Parmi eux, deux pianos – un Steinway chamarré et un Bechstein noir et blanc – et un extincteur vert émeraude et bleu Klein. Ces œuvres, à l’exception du semoir et de la Dauphine, sont disposées dans une unique salle très vaste. La chronologie ne joue aucun rôle dans leur répartition, ce qui est logique puisque ce sont les mêmes questions qui sont suggérées dans toutes : interrogations sur les sens, les codes et les pouvoirs des couleurs.
Ainsi du Steinway. Il est nappé de bleu vif, et son clavier alterne des touches rouges et roses. Voilà de quoi déconcerter puisqu’un piano est très généralement, et comme le rappelle le Bechstein voisin, sobrement noir et blanc. Cette tradition va de pair avec des valeurs telles que gravité et dignité. Soit. Mais elle est récente, puisque les clavecins étaient jadis abondamment ornés. Ce qui revient à dire que l’usage ou le non-usage des couleurs est déterminé par des règles admises sans discussion. Un extincteur doit être écarlate, un socle de sculpture ne saurait être que blanc, et l’orange est réputé être une teinte agressive déconseillée dans l’ameublement.
A rebours, Lavier passe de l’écarlate à sa complémentaire verte, propose un socle vermillon et accentue l’orange d’une chaise plastique. Ces modifications rendent sensible la force des conventions et des idées reçues. On sait, du reste, que, selon les civilisations, les couleurs ont des fonctions symboliques opposées, deuil ou joie, mort ou pureté, infamie ou gloire. Aussi aurait-on tort de prendre à la légère les métamorphoses chromatiques de Lavier : leurs sous-entendus peuvent être tragiques.
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